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Contrepoint : le financement gouvernemental doit appuyer la recherche qui représente l’ensemble de la population canadienne

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Publié dans le National Post (en ligne) le 28 janvier 2025 [en anglais]

Ted Hewitt, président, Conseil de recherches en sciences humaines

En tant que président du Conseil de recherches en sciences humaines, je suis préoccupé par la polarisation de la droite et de la gauche.

Depuis au moins le début de la Confédération, les universités canadiennes jouent un rôle respectable dans la promotion de l’enseignement supérieur et le développement de nouvelles connaissances. Elles fournissent au Canada et au monde d’innombrables découvertes et innovations scientifiques, et présentent une vision qui éclaire les discussions et les débats nationaux sur des questions d’importance capitale pour la population.

Toutefois, les recherches qui ont fait la renommée de nos établissements d’enseignement supérieur sont de plus en plus souvent critiquées, de tous les côtés de l’échiquier politique. Il ne fait aucun doute que l’expérience de la COVID-19 a conduit à une vaste remise en question de la valeur de la science et de la confiance qu’on y accorde. En parallèle, de plus importantes batailles se préparent.

Dans l’intérêt de la justice sociale et de l’équité, bon nombre de chercheuses, chercheurs et décisionnaires travaillent avec diligence à l’élaboration de politiques et de lignes directrices pour garantir que la recherche puisse inclure des opinions et des perspectives divergentes, soutenant du même coup que l’excellence de la recherche en dépend.

Pour d’autres, en particulier la droite politique, le financement de la recherche au Canada et ailleurs a été décrié comme étant de plus en plus idéologique. Pour illustrer ce dernier point de vue, il suffit de lire les pages de ce journal. De récents articles ou commentaires du National Post ont directement Note de bas de page 1 remis en question Note de bas de page 2 la légitimité des critiques visant la science occidentale et qualifié la recherche humaniste comme n’étant pas de la vraie science. D’autres ont déploréNote de bas de page 3 la persécution des professeures et professeurs de droite et l’application d’une monoculture de la recherche qui exige l’adhésion à des règles imposées de l’extérieur, en soumettant présumément la science aux considérations d’équité, de diversité et d’inclusion.

Les solutions choisies pour gérer cette polarisation accrue sont tout aussi alarmantes et proviennent des deux extrémités du spectre politique : d’une part, la multiplication des appels à l’annulation de présentations et d’événements complets en raison de leur caractère prétendument offensant ou parce qu’ils pourraient donner lieu à des protestations violentes; d’autre part, les appels pour mettre fin au financement de la recherche qui n’est pas fondée sur l’excellence « pure », pour éliminer le « wokisme » et pour interdire l’imposition forcée de lignes directrices et d’exigences en matière d’équité, de diversité et d’inclusion.

Tous ces remèdes sont contraires à l’une des pierres angulaires de la vie universitaire : la liberté universitaire. Cette liberté est un privilège qui ne doit pas être pris à la légère. Elle n’implique pas l’autorisation de rabaisser, de harceler ou de déprécier les idées d’autrui. Elle ne permet pas non plus aux universitaires d’échapper à la sanction de la loi lorsque la liberté d’expression franchit la limite d’un comportement préjudiciable ou criminel. En d’autres termes, au sein des établissements d’enseignement supérieur, cette liberté garantit le droit des universitaires de critiquer librement les politiques et les pratiques des institutions de la société, sans crainte de harcèlement ou de représailles de la part du gouvernement et, surtout, des établissements qui les emploient.

Les effets de la polarisation des opinions qui ont saisi la société et, de plus en plus, nos universités ne seront pas résolus en limitant, en canalisant ou en recalibrant le discours pour l’adapter aux idéologies particulières de la gauche ou de la droite, mais plutôt en mettant l’accent sur leur opposé absolu : l’affirmation et le soutien de cette liberté sur les campus. Ce n’est qu’ainsi que les établissements peuvent offrir le seul espace de la société qui permette l’expression complète et respectueuse des points de vue sur toutes les questions – y compris les points de vue qui sont jugés controversés ou même offensants – dans le cadre d’un effort visant à faire en sorte que la connaissance contribue complètement et ouvertement à l’amélioration de la société.

Depuis plus de quarante ans, le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) soutient des recherches qui représentent les points de vue de toutes les chercheuses et de tous les chercheurs – et de l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens. Oui, nous finançons des recherches sur des questions liées à l’orientation sexuelle, à l’injustice sociale et à la sous-représentation dans la société. Nous sommes également le principal bailleur de fonds de la recherche au Canada sur l’entrepreneuriat et la productivité. En fait, les sujets liés aux affaires, à la gestion et à l’économie – y compris les marchés du travail, les chaînes d’approvisionnement et le commerce international, par exemple – figurent parmi les disciplines qui reçoivent le plus de fonds du CRSH chaque année.

Nous soutenons la recherche sur l’expression culturelle sous toutes ses formes, le genre, l’autochtonité et l’impact du colonialisme – passé et présent – au Canada et à l’étranger. Cela inclut de nombreuses recherches sur les fondements sociaux et culturels des conflits sociaux et des guerres, et sur la manière de les atténuer. Les recherches que nous avons financées ont bien sûr critiqué les actions des États-nations dans les zones de conflit mondial comme le Moyen-Orient, ou des groupes qui les soutiennent ou s’y opposent, mais nous sommes également les principaux bailleurs de fonds de la recherche sur l’antisémitisme et le racisme de toutes sortes dans la société canadienne, ainsi que sur les stratégies conçues pour les combattre. Dans tous ces cas, les décisions de financement ont été prises sur la base des conseils de spécialistes reconnus en la matière – et non de politiciennes, de politiciens ou de fonctionnaires – ce qui contribue à garantir l’objectivité et l’excellence de la conception et de l’impact de la recherche.

Peu importe notre désaccord sur la nécessité de la recherche, ses objectifs, ses résultats ou les politiques publiques et institutionnelles en matière d’équité, il est essentiel qu’en tant que société, nous continuions à soutenir le plus large éventail possible de recherches, leur diffusion, et peut-être surtout, la critique et le débat qu’elles engendrent, le tout dans le contexte de la liberté universitaire et de l’évaluation par des spécialistes. Toutes les recherches ne produiront pas de résultats probants ou d’avantages pratiques. Mais ce n’est qu’en explorant tous les angles des problèmes et des questions qui se posent à nous dans un large éventail d’intérêts que nous pourrons mettre la connaissance au service de l’ensemble de la population canadienne.

Comme l’a fait remarquer récemment un journaliste du National Post,Note de bas de page 3 : « si les universités jouent un rôle essentiel dans la vie intellectuelle et culturelle du Canada, la valeur qui devrait être attribuée à ce rôle dépend directement de leur capacité à agir d’une manière qui est propice au bien public général. » Il ne fait aucun doute que la protection et le maintien de la liberté universitaire et de l’excellence de la recherche constituent la pierre angulaire de cette valeur.

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