Enjeux juridiques du télétravail transfrontalier
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Le projet
Depuis l'irruption de la pandémie, le télétravail s'est généralisé comme mode « ordinaire » d'organisation du travail et les prévisions mondiales signalent une forte croissance de cette pratique dans l'avenir. Devenu virtuel, le lieu de travail défie les frontières nationales, employeurs et employés opérant désormais dans un marché numérique et global. La prestation de travail virtuelle exécutée dans un pays distinct de celui où se trouvent les locaux de l'employeur, le déménagement du pays de domicile du télétravailleur et l'essor du « nomadisme numérique » démontrent l'importance des aspects internationaux des relations d'emploi dans la société contemporaine. Ces situations de mobilité posent des enjeux juridiques complexes ayant une incidence sur la protection du télétravailleur. Quelle loi s'applique à son contrat de travail? Quelle autorité aura compétence pour statuer sur ses droits? Sa protection effective exige de répondre à ces questions, ce qui peut s'avérer particulièrement difficile compte tenu de la diversité des réglementations en présence et du défaut de coordination entre elles.
Cette synthèse de connaissances a permis d’identifier des lacunes et des contradictions dans le traitement juridique du télétravail transfrontalier, la réponse fournie par le régime existant étant fragmentaire et inadaptée aux enjeux que soulève cette pratique. Nous avons examiné l'état du droit au Canada (Québec, Ontario, Colombie-Britannique et Alberta) et dans l'Union européenne, sur les questions suivantes :
- la détermination de l'autorité compétente pour trancher les litiges impliquant des télétravailleurs transfrontaliers;
- l’identification de la loi applicable au rapport transfrontalier employeur-télétravailleur;
- la façon dont les normes minimales d'emploi appréhendent le télétravail transfrontalier;
- les enjeux du télétravail transfrontalier face au critère du « lieu habituel d'exécution du travail » et les solutions proposées pour y répondre.
Les principales constatations
- En général, les règles encadrant la compétence des autorités portant sur des rapports de travail transfrontaliers offrent au travailleur le choix entre la juridiction correspondant à son domicile/résidence, au lieu habituel d’exécution du travail ou celle de l'État dans lequel l'employeur a son siège ou son établissement. Dans le système canadien, cette flexibilité peut pourtant avantager les employeurs qui décident de poursuivre les travailleurs devant un for autre que celui de son domicile, en vertu des critères de rattachements ordinaires en matière contractuelle, ce qui peut nuire au droit de défense du travailleur.
- Le « lieu habituel d'exécution du travail », facteur territorial prédominant pour déterminer la loi applicable au contrat de travail en l’absence de clause d’élection de loi et les dispositions impératives protectrices du salarié lorsque les parties ont choisi la loi d'un autre État, ne répond pas de façon adéquate aux enjeux du télétravail transfrontalier.
- Ce critère n’est pas représentatif de l’environnement socio-économique où s’inscrit la relation d’emploi, car le lieu physique de situation de l’ordinateur n’a pas d’incidence sur l’accomplissement de la prestation de travail, laquelle pourrait être rattachée au lieu où elle est destinée à produire ses effets.
- Ce critère facilite la délocalisation du travail par le recours à des télétravailleurs dans des juridictions étrangères à faible protection, ce qui profite aux entreprises voulant échapper aux normes impératives de leurs pays d'origine, en leur permettant de réduire les coûts de salaire et de baisser les standards de protection applicables aux télétravailleurs. Les divergences normatives existantes à l'échelle globale peuvent déclencher une véritable course vers le bas consistant à se mettre à l'abri de la réglementation la plus contraignante, en choisissant la loi qui offre le moins de garanties aux télétravailleurs.
- Le droit international privé et le droit du travail suivent une logique territoriale qui ne s'accorde pas aux exigences de la dématérialisation du lieu de travail. Les législations canadiennes sur les normes minimales d'emploi analysées refusent de prendre en charge les télétravailleurs accomplissant entièrement leurs activités pour une entreprise locale, depuis un État étranger ou une province canadienne distincte (une exception est prévue au Québec lorsque le travailleur y est domicilié).
Ce que cela suppose pour les politiques
- Les résultats de cette synthèse des connaissances seront mis à disposition des responsables de politiques pour qu'ils soient en mesure d'évaluer l'impact de la dématérialisation du lieu de travail à l'échelle globale sur la configuration juridique des rapports de travail. Ils serviront à sensibiliser les responsables à la nécessité d'engager une réflexion conjointe sur ces enjeux avec l'ensemble des parties prenantes, et sur l'opportunité des modifications législatives qui prennent en compte la dimension virtuelle et internationale du télétravail.
- Compte tenu des problèmes complexes de compréhension et de coordination des règles concernant le télétravail transfrontalier, cette synthèse entend remplir une mission d'information auprès des acteurs concernés par ce mode d'organisation du travail, afin d'atténuer l'insécurité juridique sur le sort de la relation d'emploi, qui ne fait que creuser le déséquilibre déjà existant entre les cocontractants, au détriment de l'employé.
- Devant l'inadéquation du régime juridique actuel à ces enjeux, les responsables des politiques et les praticiens en droit du travail jouent un rôle de premier plan dans l'amélioration des pratiques contractuelles qui répondent en amont aux difficultés pouvant survenir lors de l'exécution et de la rupture du contrat de travail, exécuté à distance depuis un pays étranger ou une province canadienne distincte de celle où siège l’employeur.
Complément d’information
Rapport intégral (en anglais)
Coordonnées des chercheurs
Naivi Chikoc Barreda, professeure adjointe à la Faculté de droit - Section de droit civil de l’Université d'Ottawa nchikocb@uottawa.ca
Stéphanie Bernstein, professeure titulaire au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal bernstein.stephanie@uqam.ca
Les opinions exprimées dans cette fiche sont celles des auteurs; elles ne sont pas celles du CRSH, du Centre des Compétences futures ni du gouvernement du Canada.
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