De: Conseil de recherches en sciences humaines
Date de publication : | Date de modification : 2006-04-27 10:26:24
Il suffit de penser à Frankenstein de Mary Shelley ou à Docteur Folamour de Stanley Kubrick, pour se rendre compte que depuis au moins deux cents ans, les artistes et les penseurs nous préviennent des graves conséquences qu'entraîne par la mise en application de connaissances scientifiques non vérifiées par la sagesse éthique.
Nous retrouvons le même esprit de prudence dans les travaux de Margaret Somerville, directrice fondatrice du Centre for Medicine, Ethics and Law de l'Université McGill, qui nous explique les dangers que représentent les progrès scientifiques qui ne sont pas accompagnés « des progrès moraux et éthiques nécessaires ».
La science se nourrit d'un esprit de découverte, mais en soi, elle est fondamentalement amorale. S'il est possible de cloner des humains, de soigner les troubles médicaux en greffant des gènes animaux ou de modifier génétiquement nos enfants, il y aura toujours quelqu'un, quelque part, qui continuera à essayer jusqu'à ce qu'il y arrive. Alors, comment, en tant qu'individu, communauté et nation, réagirons-nous?
Selon Margaret Somerville, sommité internationale en ce qui concerne les implications éthiques et morales de la science médicale contemporaine, bon nombre des dilemmes éthiques actuels naissent de l'écart entre « les progrès de la science » et « les progrès de l'éthique ». En bref, les connaissances technologiques progressent plus rapidement que notre compréhension morale et sociale.
Les connaissances scientifiques dépendent du progrès effectué dans diverses disciplines techniques. La compréhension éthique de ces connaissances dépend de l'analyse de leurs implications pour de nombreux domaines interdépendants sociaux, politiques, juridiques, religieux et culturels. Peu importe la complexité du génome humain et la fantastique réalisation qui nous a permis de le retracer, égales ou plus complexes encore sont les implications morales et éthiques de notre pouvoir croissant à manipuler les principes mêmes de la vie.
Trop souvent, la technologie est appliquée pour la même raison que celle qui a poussé Sir Edmund Hillary à grimper l'Everest : « parce qu'elle existe ». Mme Somerville précise que la société doit tout d'abord décider si une chose est mauvaise par nature, dans quel cas, le fait de pouvoir la réaliser ne devrait pas poser de problème. À la lumière de cette analyse, le fait que 90 p. 100 des Canadiens s'opposent au clonage reproductif signifie que nous ne devrions pas l'autoriser. Les scientifiques doivent respecter les valeurs éthiques partagées comme tout un chacun. La science doit servir les valeurs qui nous sont chères, et non l'inverse.
De plus, un autre facteur qui complique les choses, souligne Mme Somerville, est que notre société met l'emphase sur les droits individuels et les libertés, ce qui mène vers un « individualisme moral ». Par conséquent, arriver à un consensus éthique devient un équilibre délicat. Toutefois, « nous ne pouvons pas créer une société à moins de s'entendre sur certaines valeurs de base ».
Margaret Somerville est professeure de droit et de médecine à l'Université McGill à Montréal. Elle a publié beaucoup et a tenu de nombreuses conférences internationales sur les aspects éthiques et juridiques de la science et de la société. Ses plus récents ouvrages s'intitulent The Ethical Canary et Death Talk. Elle a reçu deux subventions du CRSH au début de sa carrière.