À titre de professeure invitée William-Lyon-Mackenzie-King en études canadiennes à Harvard en 2017-2018, la professeure Charmaine Nelson de l’Université McGill jette un éclairage inédit sur des aspects peu étudiés de l’histoire des Noirs, qu’elle fait connaître à un public international.
Chaque semestre, Mme Nelson, qui enseigne l’histoire de l’art, amène ses nouveaux étudiants à réaliser que, pendant 250 ans, jusqu’en 1833, année où la Grande-Bretagne a aboli l’esclavage dans toutes ses colonies, le Canada – tout comme son voisin du Sud – a été une nation esclavagiste.
Cette spécialiste de l’étude de la traite transatlantique des esclaves, qui englobe plusieurs disciplines, dont la culture visuelle, estime que, par le passé, ce domaine a été trop axé sur l’esclavage dans les plantations tropicales, où les esclaves en sont venus à constituer la majorité de la population – comme ce fut le cas en Jamaïque, au Brésil et à Cuba.
Elle est d’avis que les études ont ignoré, dans une large mesure, ce qui s’est passé au nord, y compris au Canada, où les esclaves étaient minoritaires.
Lorsqu’on lui demande des chiffres, Mme Nelson cite une estimation du professeur Marcel Trudel de l’Université Laval, selon laquelle on comptait environ 3 600 esclaves d’origine amérindienne et d’origine africaine en Nouvelle-France en 1759.
Mme Nelson, toutefois, s’intéresse davantage à l’histoire de ces personnes.
Les avis de recherche d’esclaves en fuite publiés il y a plus de 200 ans contenaient beaucoup d’information sur la vie de certains d’entre eux. Les affiches et avis avaient pour but de faire repérer les fugitifs, et ils décrivaient en détail leurs caractéristiques physiques, leurs compétences et les langues qu’ils parlaient.
Mme Nelson continue d’éplucher les registres de succession, les actes de vente, les registres de l’impôt de capitation, ainsi que les registres des prisons et des workhouses pour reconstituer, les unes après les autres, des vies humaines. En décrivant la vie, au Canada, de ces hommes, femmes et enfants esclaves, ainsi que celle des esclavagistes, elle révèle également certaines des caractéristiques des « migrations forcées » de l’époque.
Elle explique que le fait d’oblitérer le passé esclavagiste du Canada se traduit par un coût élevé, que l’on observe notamment dans le profilage racial et le maintien de l’ordre.
“ En tant qu’universitaire, j’y vois un héritage de l’esclavage, dit-elle, une manifestation de choses du passé, dans la manière dont nos corps portent une marque distinctive et sont considérés comme suspects.
L’esclavage n’a pas disparu en 1833. Il a été aboli, certes, c’était devenu illégal de posséder un être humain, mais le racisme, lui, n’a pas disparu.
Par son apport remarquable à la culture visuelle, à l’histoire des Noirs du Canada et à l’histoire de l’art afro-canadien, Mme Nelson fait œuvre de pionnière. Le poste qu’elle occupe dans un établissement comme l’Université McGill, dit-elle, lui a permis de travailler avec des étudiants des cycles supérieurs et de former davantage de chercheurs à l’étude de la traite transatlantique des esclaves.
Pour se tenir au courant des recherches de Mme Nelson, on peut consulter le site Web Black Canadian Studies (en anglais).