De: Conseil de recherches en sciences humaines
Date de publication : 2023-05-16 10:45:00 | Date de modification : 2023-05-16 10:45:00
Bien que la société multiculturelle du Canada soit une source de fierté pour beaucoup, peu d’études ont été faites sur les expériences vécues par les jeunes musulmanes et musulmans au Canada pour pouvoir comprendre si cette diversité multiculturelle se traduit pleinement par l’inclusion.
Professeure agrégée de criminologie et de justice à l’Université Ontario Tech, Arshia Zaidi, tente de remédier à la situation grâce à une recherche financée par le CRSH axée sur les expériences interdépendantes de discrimination, d’exclusion sociale et de bien-être émotionnel des musulmanes et musulmans d’Asie du Sud qui grandissent à une époque où l’islamophobie est omniprésente.
« Je voulais donner la parole aux personnes musulmanes du Canada et leur permettre de parler de leurs expériences suivant le bouleversement et le chaos survenus dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 et de l’élection de Donald Trump, explique Mme Zaidi. Au recensement canadien de 2021, près de 1,8 million de personnes – soit une personne sur 20 – ont indiqué être de religion islamique, ce qui fait de l’Islam la deuxième religion la plus souvent déclarée au Canada après le christianisme. »
Ainsi, la chercheure a mené des entretiens approfondis de plusieurs heures auprès d’un échantillon de musulmanes et musulmans d’Asie du Sud âgés de 18 à 30 ans et vivant en Ontario. Parmi les personnes interrogées se trouvaient des personnes qui portent ou ne portent pas de marqueurs d’identité musulmane visibles de même que des personnes qui fréquentent ou ne fréquentent pas un établissement d’enseignement postsecondaire.
La chercheure leur a posé des questions sur leur vie au Canada. Ont-elles et ils été victimes de discrimination, en particulier d’islamophobie? Dans l’affirmative, quel en a été l’impact sur leur bien-être émotionnel? Ont-elles et ils reçu du soutien? Comment envisagent-elles et ils l’avenir des musulmanes et musulmans au Canada?
Puisque la pandémie a obligé à abandonner les entretiens en personne, les entretiens de recherche ont été réalisés par vidéoconférence. Mais Mme Zaidi a constaté que les participantes et participants étaient plus ouverts lorsqu’elles et ils étaient assis devant un ordinateur, dans le confort de leur maison, que lorsqu’elles et ils se rencontraient dans un lieu public tel qu’un café. Certaines personnes faisaient part de leur expérience face à l’islamophobie pour la toute première fois – l’ayant cachée à leur famille et à leurs amies et amis pendant des années et ne connaissant aucune ressource ni aucun système de soutien. D’autres avaient été confronté à la discrimination dès l’école primaire; une personne s’est rappelée avoir été taquinée et traitée de « terroriste » par d’autres enfants, déclarant avoir vraiment eu l’impression de ne pas être à sa place au Canada.
Arshia Zaidi a été surprise d’apprendre à quel point les personnes interrogées étaient touchées par l’islamophobie. Un jeune homme a expliqué qu’il avait du mal à nouer des liens avec des personnes qui ne sont pas musulmanes, précisant qu’il lui était nécessaire de « présélectionner » les gens en fonction de leurs opinions racistes avant de nouer des liens d’amitié. En outre, les jeunes dont l’identité musulmane est visible sont les plus susceptibles d’avoir été victimes d’islamophobie. Plusieurs participantes et participants ont parlé de changer leur apparence pour mieux s’intégrer. Par exemple, un jeune homme s’est rasé la barbe et une jeune femme a cessé de porter le hijab (voile). Or « devoir changer d’apparence pour se sentir en sécurité et accueilli et ressentir un sentiment d’appartenance ne devrait pas se produire dans un pays multiculturel », remarque Mme Zaidi.
La sécurité – notamment la sécurité physique – est l’une des principales préoccupations des jeunes musulmanes et musulmans d’Asie du Sud au Canada. Une personne a expliqué comment elle évite de se promener seule et préfère marcher dans les parcs depuis l’attaque mortelle avec délit de fuite dont a été victime une famille musulmane de London, en Ontario, en 2021. La sécurité psychologique est une autre grande préoccupation. Des personnes ont par exemple indiqué changer de nom lorsqu’elles entrent dans des espaces en ligne afin d’éviter d’être la cible de haine et de racisme en ligne.
Selon la chercheure, pour progresser, il faut d’abord identifier le problème. « Ce n’est qu’après avoir mis le doigt sur le problème que l’on peut aller de l’avant, organiser des ateliers, des conférences et d’autres types de formation pour sensibiliser le public », précise-t-elle.
Les communautés et les responsables de l’élaboration des politiques doivent travailler ensemble pour combler le fossé entre la réputation du Canada en tant que pays accueillant et le sentiment d’aliénation que ressentent de nombreux jeunes musulmanes et musulmans. Certaines personnes qui ont participé à la recherche ont souligné qu’il était nécessaire d’offrir davantage de soutien aux enfants d’âge scolaire, notamment en offrant des services de conseil et une meilleure formation à la diversité, par exemple sous forme de cours sur la diversité dans le cadre des programmes scolaires. Ainsi, le Toronto District School Board – le conseil scolaire le plus grand et le plus diversifié du Canada – vient de voter pour l’élaboration d’une stratégie de lutte contre l’islamophobie dans l’ensemble de son conseil et, en janvier 2023, le Peel District School Board est devenu le premier conseil scolaire du Canada à adopter une stratégie de lutte contre l’islamophobie.
D’autres idées ont été partagées, dont une plus grande représentation musulmane dans les emplois axés sur le service public comme la politique, l’enseignement et le maintien de l’ordre public, la mise en place d’une ligne d’assistance téléphonique provinciale pour lutter contre l’islamophobie et les crimes de haine ainsi que le changement des discours sur les personnes musulmanes dans les médias, y compris dans les espaces en ligne où les fausses informations et les théories du complot sont partagées et encouragées.
« Le changement ne se fera pas du jour au lendemain, souligne Mme Zaidi, car il faut procéder par étapes. » La nomination récente de la première représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie constitue une étape importante vers ce changement. Il en va de même pour la façon dont les musulmanes et les musulmans du Canada se voient de plus en plus représentés dans les médias et la culture populaire, grâce à des exemples positifs de journalistes, d’autrices et auteurs et d’humoristes musulmans ainsi qu’à une distribution plus diversifiée des rôles à la télévision.
Par sa recherche, Arshia Zaidi a comme objectif ultime de contribuer à créer un espace plus sécuritaire pour les musulmanes et musulmans du Canada et de renforcer leur sentiment d’appartenance pour qu’elles et ils se sentent bien ici.
« Ma recherche montre clairement qu’une problématique plus vaste est en jeu et que celle-ci découle de problèmes et d’obstacles systémiques, explique Mme Zaidi. De nos jours, les musulmanes et musulmans se sentent aliénés et désemparés. Elles et ils éprouvent de la peur, de l’anxiété et de l’incertitude quant à leur avenir en raison de récents incidents islamophobes. Les choses doivent donc vraiment changer et nous devons prendre davantage conscience des problèmes qui se posent. »