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Raconter les histoires autochtones au grand écran – Ce que la « nouvelle vague » de films autochtones nous apprend sur la vérité et la réconciliation

Date de publication : 2023-06-20 09:45:00 | Date de modification : 2023-06-20 09:45:00

Planche du court métrage OChiSkwaCho (2018, réalisateur Jules Koostachin). Le titre du film fait référence à un être sacré, connu sous le nom de messager spirituel. Kokoom, une femme âgée bispirituelle, doit décider si elle reste avec ses petits-enfants ou si elle suit l’OChiSkwaCho.

Photo : avec l’aimable autorisation de Jules Koostachin

Depuis la création de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, une « nouvelle vague » de films autochtones a vu le jour, permettant à un plus grand nombre de voix autochtones de s’exprimer au grand écran, souvent pour la première fois.

« Au cours des 15 dernières années, il y a eu un élan de créativité et de possibilités, provoquant une tempête presque parfaite pour la réalisation de films dramatiques autochtones au Canada », affirme Tyson Stewart, un spécialiste du cinéma et des médias anichinabé (Temagami), coprésident de programme et professeur adjoint au Département d’études autochtones de la Nipissing University.

Grâce à une subvention de développement Savoir du CRSH, M. Stewart étudie l’évolution de la production cinématographique autochtone au Canada et attire l’attention sur les nouveaux films et sur leur importance pour comprendre la Commission en tant que phénomène culturel et politique.

« Politiquement et socialement, le pays a beaucoup de choses à traiter – les affronts et les injustices du passé, et la prise de conscience des droits, des cultures, des perspectives et de l’histoire des Autochtones. Il y a une sorte de période de transition qui se reflète également dans la réalisation des films », explique-t-il.

Affiche publicitaire pour Biidaaban (The Dawn Comes) (2018, réalisatrice, Amanda Strong, d’après les écrits de Leanne Betasamosake Simpson ). Un court métrage en prise de vues image par image dans lequel Biidaaban, une jeune personne autochtone non binaire, et Sabe, un métamorphe vieux de 10 000 ans, entreprennent de perpétuer la tradition anishinaabe de récolte de la sève des érables à sucre dans leur environnement urbain contemporain de l’Ontario.

Photo : avec l’aimable autorisation d’Amanda Strong

Avant la Commission de vérité et réconciliation, M. Stewart explique que les contenus créés par les Autochtones avaient tendance à comporter des éléments comiques, ce qui les rendait plus digestes pour le grand public. Ce ton a radicalement changé. Aujourd’hui, les cinéastes autochtones abordent des thèmes tels que les « Autochtones urbains », les personnes bispirituelles, les relations interraciales et les enfants d’identité mixte, ainsi que la résilience des femmes. Ces films célèbrent l’identité autochtone et n’hésitent pas à aborder des sujets difficiles.

Par exemple, M. Stewart qualifie Rhymes for Young Ghouls (2013) de premier classique de cette nouvelle vague. Dans ce film envoûtant qui a fait fureur au Festival international du film de Toronto, le cinéaste micmac Jeff Barnaby traite du suicide, de la toxicomanie et des abus sexuels, avec en toile de fond un hold-up dans un pensionnat à l’occasion de l’Halloween, qui reprend l’histoire et l’imagerie du système des pensionnats indiens.

« Je pense qu’il y a une forme de colère critique, presque productive, qui se cache derrière beaucoup de ces histoires. Ces réalisatrices et réalisateurs de nouvelle génération ont joué cartes sur table et n’ont pas caché leur point de vue sur les relations entre Autochtones et colons », déclare Stewart.

Lorsqu’il qualifie ce type de colère de « productive », il pense à la force qu’il y aurait eu à voir des films de ce genre lorsqu’il était adolescent.

« Il est bon de voir l’ombre et la lumière quand on est jeune. C’est formateur. Et nous voulons pouvoir regarder des histoires qui reflètent quelque chose de notre propre histoire familiale dans notre propre vie. »

En analysant ces films, M. Stewart a cerné un message commun : un appel à une véritable réconciliation, c’est-à-dire à une mise en œuvre concrète sur le terrain, et non pas à un simple discours sur le concept.

L’une des façons dont les cinéastes autochtones soulignent le fossé persistant entre les paroles et les actes est de décrire la criminalisation actuelle des peuples autochtones. Par exemple, dans Biidaaban (The Dawn Comes) de la réalisatrice Amanda Strong, le personnage principal autochtone sort sous le couvert de la nuit dans son quartier du sud de l’Ontario pour tenter de faire revivre la tradition ancestrale de l’entaillage des érables pour en faire du sirop. Des objets inanimés de la banlieue, comme un tuyau d’arrosage et une clôture, prennent vie pour tenter de l’arrêter.

Le chercheur Tyson Stewart avec (de gauche à droite) sa cousine Mary Laronde, sa tante Caroline Pridham et sa grand-mère Marjorie Roy, lors de la projection de films autochtones et de la série de conférences présentées par Tyson Stewart au Bunny Miller Theatre de Temagami, dans le nord de l’Ontario, en juillet 2022, en collaboration avec Living Temagami.

Photo : avec l’aimable autorisation de Tyson Stewart

« En ce sens, le personnage est considéré comme un criminel par la société coloniale, simplement parce qu’il exprime son appartenance autochtone et pratique sa culture. Ce à quoi les cinéastes s’opposent, c’est à une sorte de fausse réconciliation, explique M.  Stewart.

Malgré son enthousiasme général, certains aspects de cette récente montée en puissance du cinéma autochtone l’inquiètent. Par exemple, ses recherches posent des questions difficiles sur la manière dont certains films autochtones (et les médias grand public) ont utilisé des photos d’archives des pensionnats. Il craint que ces photos d’enfants bien rangés assis à leur bureau n’aient été créées à des fins de propagande et que, lorsqu’elles sont montrées dans de nouveaux médias, elles ne répètent involontairement les objectifs initiaux de ces photos : perpétuer une fiction sur ce à quoi ressemblaient les pensionnats au quotidien, en dehors du contexte réel.

« Je voulais voir un film dans lequel un responsable de l’école ou un fonctionnaire venait dans une école et faisait poser les enfants pour créer une situation imaginaire et idéale. C’est ce genre de récit que j’aurais aimé voir. »

Les portes qui se sont ouvertes aux cinéastes autochtones, soutenus par des formations et des financements gouvernementaux, sont conformes à l’un des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada concernant les médias et la réconciliation. L’appel 84 invite le gouvernement fédéral à soutenir le radiodiffuseur public canadien, Radio-Canada/CBC, afin qu’il reflète la diversité des cultures, des langues et des points de vue des peuples autochtones.

« Si l’on compare avec les États-Unis, par exemple, qui ont un modèle de financement largement privé, on peut vraiment voir à quel point le soutien du gouvernement et l’intérêt du public ont été bénéfiques pour les cinéastes autochtones au Canada », explique M. Stewart.

La prochaine étape consistera à faire en sorte que ces films soient visionnés plus largement, par des publics autochtones et non autochtones, dans le cadre de festivals de cinéma et de projections publiques. M. Stewart croit fermement au pouvoir de guérison d’une bonne histoire qui contribue à la réconciliation.

« Comment faire en sorte que les Canadiennes et Canadiens en prennent conscience et que même les critiques du pays commencent à couvrir plus largement le cinéma autochtone et à discuter sérieusement de ce que ces films racontent? », demande-t-il.

Pour que de telles conversations aient lieu, il est essentiel que la nouvelle vague de films autochtones soit plus largement accessible. Des changements importants sont en cours, ces films étant désormais disponibles sur des plateformes telles que APTN lumi, CBC Gem et NFB.ca. Netflix s’est récemment associé à ISO, ImagineNATIVE et Wapikoni pour former et soutenir la prochaine génération de cinéastes autochtones.

Au cours de l’été 2022, M. Stewart a organisé une série de projections communautaires à Temagami, où un court métrage, OChiSkwaCho de Jules Koostachin, a donné lieu à une discussion sur la mort et la spiritualité.

« J’ai vu ces films faire pleurer les gens et laisser les colons sans voix, parce qu’ils ont appris quelque chose de nouveau sur une autre culture qu’ils ne connaissaient pas. C’est la raison pour laquelle je continue à faire cela. C’est ce qui me motive.


Pour en savoir plus

Pour en savoir plus sur le travail de M. Stewart, lisez son article sur le cinéma de vérité et de réconciliation (en anglais), basé sur son projet de recherche financé par le CRSH.

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