De: Conseil de recherches en sciences humaines
Date de publication : 2025-03-19 11:00:00 | Date de modification : 2025-03-19 11:00:00
Nicole Rosen, professeure en linguistique, Université du Manitoba.
Photo : Université du Manitoba
Le Canada est un pays multiculturel, dont le statut bilingue reconnaît deux collectivités de langues officielles, l’une francophone et l’autre anglophone. Or, chacune de ces deux collectivités pancanadiennes présente une importante diversité, comptant des centaines de milliers de personnes dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais.
« Le Canada peut difficilement se prétendre un pays multiculturel s’il ne reconnaît officiellement que le bilinguisme. En réalité, on ne peut pas séparer la langue de la culture, et le multilinguisme devrait faire partie du multiculturalisme », suggère Nicole Rosen, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les interactions entre les langues à l’Université du Manitoba.
Mme Rosen étudie précisément l’immense diversité linguistique du Canada et collabore avec des organismes comme le Conseil jeunesse provincial du Manitoba et la Fédération métisse de la Colombie-Britannique qui se penchent sur les droits linguistiques des groupes tels les récents immigrants et immigrantes et les enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuit.
En tant que directrice du Département de linguistique de l’Université du Manitoba, elle se penche aussi sur la population diversifiée du Manitoba pour innover dans l’étude des interactions qui ont eu lieu et ont cours présentement entre les langues officielles, les langues d’origine ainsi que les langues des Premières Nations, des Métis et des Inuit.
Nicole Rosen examine des entretiens sociolinguistiques avec une étudiante.
Les Prairies ont assisté à l’arrivée de colons français, allemands, ukrainiens et mennonites qui ont laissé leur marque sur le français parlé dans la région, tout comme l’ont fait les langues des Premières Nations. Plus de 112 000 personnes, représentant environ 9 p. 100 de la population manitobaine, parlent français. Mais le français parlé dans les Prairies est unique en son genre. Une langue propre à cet endroit, appelée « michif », a même été créée dans la vallée de la rivière Rouge en raison du contact linguistique entre les cultures. La langue michif – un mélange de français, de cri des plaines, d’ojibwé et d’anglais – est une langue métisse en voie de disparition.
« Dans le cadre de ma maîtrise en linguistique française à l’University of Toronto, on parlait des “langues mixtes” du monde et le michif était toujours cité en exemple. Je ne savais même pas que cette langue existait, alors que je suis Manitobaine. »
Ce fut l’étincelle qui poussa Mme Rosen à revenir au Manitoba et à explorer comment l’identité d’un groupe s’exprime à travers la langue.
« Ce qui m’intéresse le plus, c’est de comprendre les interactions entre les personnes et les langues à proximité l’une de l’autre. Ma recherche vise à découvrir ce que la langue nous révèle sur les interactions entre les gens, mais aussi comment la langue change à partir de ces interactions. Cette relation va dans les deux sens. »
À titre d’exemple, l’adoption dans un groupe d’une expression courante dans un autre pourrait indiquer que ces deux groupes ont interagi et communiqué entre eux, tandis que l’accent de chaque groupe reste distinct.
« Ce n’est pas seulement le lexique. C’est aussi une question de prononciation, ce qu’on appelle la “sociophonétique”. Ce sont des différences très subtiles, mais qui s’entendent, par exemple, la façon dont on prononce les consonnesp,t,k, avec une aspiration ou non. Chaque groupe a sa propre façon de produire ces sons. »
Ainsi, parmi les francophones du Manitoba, on trouve des accents différents selon qu’on vient de Winnipeg, de Saint-Boniface, de Notre-Dame-de-Lourdes ou d’ailleurs. Au fil du temps, les accents se sont davantage distingués en raison de l’arrivée d’immigrantes et d’immigrants de la francophonie internationale. Aujourd’hui, tous ces accents coexistent généralement de manière harmonieuse.
En guise d’illustration, Mme Rosen parle de certaines espèces d’oiseaux largement répandus qui empruntent des sons aux oiseaux environnants, chantant différemment en fonction de leur localisation, tel un dialecte.
« On ne dit jamais des oiseaux qu’ils chantent mal ou qu’ils devraient s’exprimer autrement. Il devrait en être de même pour la diversité des accents. C’est si beau d’entendre ces différences qui reflètent la mosaïque des gens », conclut-elle.
Pour découvrir les travaux de Nicole Rosen sur les interactions entre les langues dans les Prairies canadiennes et connaître les détails de la variation sociophonétique de la parole, rendez-vous sur la page Web de l’Université du Manitoba (en anglais).