De: Conseil de recherches en sciences humaines
Date de publication : | Date de modification : 2008-05-05 12:21:02
« Aujourd’hui, on ne produit plus de documents originaux au sens propre du terme », indique Luciana Duranti à propos de la tendance actuelle à produire, exclusivement sous forme numérique, des documents tels que des actes de concession de terrain, des photographies et des états d’opérations financières. Il y a certes de nombreux avantages à créer des documents numériques, et la hausse de l’efficacité est l’un d’entre eux. Toutefois, Mme Duranti, qui enseigne à l’University of British Columbia, a été l’une des premières, dans le monde de la recherche, à prendre conscience de l’importance, pour tous les pays, d’adopter de nouvelles méthodes d’archivage afin de s’éviter de sérieux problèmes.
Mme Duranti, qui dirige le programme de maîtrise en études archivistiques de l’University of British Columbia, s’est un jour demandé comment préserver l’authenticité et l’accessibilité des documents de grande importance – par exemple ceux créés par les gouvernements, les entreprises et les artistes – dans un contexte où la technologie évolue rapidement.
Auparavant, l’analyse et la conservation des documents originaux (non numériques) s’appuyaient sur des techniques éprouvées. Par exemple, il était possible de confirmer l’authenticité d’un document en procédant à une analyse de l’écriture, de l’encre ou du papier. De même, on pouvait assurer l’accessibilité d’un document et son maintien en bon état simplement en le conservant dans les archives. « À Rome, on peut trouver des documents datant du sixième siècle », précise la chercheure, qui a travaillé aux Archives nationales de Rome de 1978 à 1982.
Cependant, le numérique vient changer la donne. La technologie qui permet de créer un document peut être à la fine pointe un jour et désuète le lendemain. Par conséquent, si les policiers recueillent aujourd’hui des preuves numériques – par exemple grâce au système mondial de positionnement –, la technologie qui sera la norme dans trois ans pourra-t-elle déchiffrer ces données au moment où l’affaire sera portée devant les tribunaux? Et si ces policiers ont besoin de convertir des documents en vue de les utiliser dans le cadre d’une poursuite criminelle, comment peuvent-ils garantir que les preuves n’ont pas été modifiées de quelque façon que ce soit?
Des questions comme celles-là ont mené à la création du programme InterPARES (International Research on Permanent Authentic Records in Electronic Systems), que Mme Duranti dirige grâce au soutien du Conseil de recherches en sciences humaines. Ce programme a été lancé en 1999 et entreprend, jusqu’en 2012, sa troisième étape.
« Les documents numériques doivent être créés dans un souci de viabilité », précise la chercheure. C’est pourquoi l’équipe d’InterPARES a mis au point des stratégies, des politiques et des normes d’archivage pour tous les documents authentiques.
Aussi, les procédures et les processus adoptés doivent faire l’unanimité. « La plupart des organisations sont multinationales. Il est donc important que leurs dossiers puissent être authentifiés partout dans le monde », ajoute Mme Duranti. C’est la raison pour laquelle le programme InterPARES fait participer 21 pays, notamment l’Australie, le Botswana, la Chine et les États-Unis. De plus, le processus de recherche a mis à contribution des personnes spécialisées dans la création de documents numériques qui sont d’une grande importance pour des raisons administratives, juridiques ou culturelles. « À l’origine, le programme était mené en collaboration avec des musiciens, des scientifiques, des médecins et des juristes, bref des personnes qui connaissent la valeur d’un document et qui ont à cœur de le protéger », indique la chercheure.
Aujourd’hui, le programme fait beaucoup parler de lui. Déjà la Chine considère les principes d’authenticité définis par InterPARES comme faisant autorité. De plus, des institutions financières européennes ont demandé de l’aide pour valider l’authenticité de leurs opérations bancaires, et des établissements du monde entier tentent de s’approprier les services des étudiants de Mme Duranti.
« Les gens ont tendance à suivre le courant technologique, ajoute la chercheure. Ils s’intéressent avant tout aux avantages qu’un système peut leur procurer dans l’immédiat. Depuis la création d’InterPARES, la numérisation est vue comme un processus à plus long terme. »