De: Conseil de recherches en sciences humaines
Date de publication : 2022-04-25 11:55:00 | Date de modification : 2022-04-25 11:55:00
Réfugié soudanais de 18 ans, Ahmed a échappé à la guerre du Darfour et a effectué la dangereuse traversée de la Méditerranée depuis la Libye jusqu’à l’île de Lampedusa. Il s’est ensuite rendu à Calais d’où il espérait rejoindre le Royaume-Uni et pouvoir faire des études d’ingénieur en informatique (2015).
Photo : © UNHCR/Christophe Vander Eecken
La plupart des discours qui entourent le mouvement Black Lives Matter portent sur les interactions entre les communautés noires et les forces de l’ordre locales. Pourtant, les problèmes s’étendent aux frontières nationales et au-delà. Selon Robyn Maynard, candidate au doctorat à l’University of Toronto, les contrôles frontaliers et les politiques d’immigration jouent un rôle central dans la persécution, la détention et la surveillance dont font l’objet les personnes noires du monde entier et déterminent la façon dont nous pensons à la vie de ces personnes au Canada et à l’étranger.
« Nous vivons un déplacement de masse énorme en raison des crises climatiques et économiques, souligne la chercheure. Or, bon nombre de ces crises touchent de façon disproportionnée les personnes noires, car elles les forcent à quitter leur foyer et à chercher refuge ailleurs, où elles se heurtent à des contrôles frontaliers qui s’avèrent hostiles à leur présence. »
Au début de sa vingtaine, Mme Maynard s’est engagée contre la présence policière excessive au sein des communautés noires et en faveur du mouvement « sans frontières ». C’est ainsi qu’elle s’est rendue compte que, outre leurs effets évidents comme le taux plus élevé de détention ou d’expulsion à l’entrée d’un pays, les politiques d’immigration et les politiques de sécurité frontalière qui sont hiérarchisées sur le plan racial affectent également les migrantes et migrants noirs sans que l’on s’en rende forcément compte.
Robyn Maynard, candidate au doctorat et titulaire d’une bourse d’études supérieures du Canada Vanier du CRSH.
Photo : © Stacy Lee Photography
Par exemple, elle explique que le nombre plus élevé de conductrices et conducteurs noirs arrêtés et interrogés par la police augmente la probabilité que les immigrantes et immigrants noirs sans papiers soient signalés et détenus. Dans de nombreux cas, ces contrôles routiers « aléatoires » peuvent entraîner l’expulsion et avoir des conséquences à long terme non seulement pour la personne concernée, mais aussi pour sa communauté.
Financée par une bourse d’études supérieures du Canada Vanier du CRSH, Mme Maynard explore, dans le cadre de sa thèse de doctorat, l’évolution historique des contrôles d’immigration et leur rapport avec la traite transatlantique des esclaves. Elle s’intéresse également à la façon dont les formes superposées de marginalisation sociale, politique, sexospécifique et économique se manifestent dans les contrôles frontaliers et à leur incidence sur la condition des personnes noires à l’échelle mondiale. Pour ce faire, elle interroge des organisatrices et organisateurs de communautés noires du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni, dont certaines et certains possèdent une expérience de la migration et de la demande d’asile, dans le but d’éclairer leurs théories et leur analyse de ces questions.
En créant des liens entre les travaux contemporains et les traditions passées liées au radicalisme noir, Mme Maynard met l’accent sur les voix des personnes noires en tant que productrices de connaissances, plutôt qu’en tant que sujets passifs de recherche. Par la même, elle souligne le travail important qu’accomplissent ces personnes pour identifier les causes profondes de la migration de masse.
« Les personnes qui luttent activement contre leur propre détention et expulsion sont responsables de certaines des analyses les plus solides sur les raisons qui poussent les gens à quitter leur foyer », explique la chercheure.
Certaines de ces causes profondes remontent à l’impérialisme historique et à l’esclavage, alors que d’autres sont liées aux pratiques colonialistes des gouvernements actuels, notamment les opérations minières des pays occidentaux et les politiques de prêts gouvernementales qui désavantagent les pays d’Afrique et des Caraïbes. En reconnaissant ces problèmes, il est possible de recadrer la crise des migrants et les politiques raciales qui y sont associées et de mettre en lumière les impacts réels que ces politiques ont sur les personnes et les communautés noires.
Les frontières jouent un rôle important dans la manière dont nous voyons le monde et dont nous façonnons nos identités, ce qui a des implications sur la citoyenneté, la migration et le multiculturalisme du niveau local au niveau transnational. Robyn Maynard espère que ses travaux attireront l’attention sur certains des préjudices causés par les pratiques de contrôle frontalier actuelles, offriront de nouvelles perspectives sur l’importance de la liberté de mouvement et de statut pour toutes et tous et feront pression pour mettre fin aux causes structurelles des déplacements massifs – autant pour les personnes noires que pour les personnes de toute autre origine raciale.
« Les personnes qui s’attaquent directement à ces questions ne se contentent pas de lutter contre leur détention ou expulsion, conclut Mme Maynard. Elles tentent de construire un monde plus juste pour toutes et tous ».
Pour en savoir plus sur les travaux de Robyn Maynard, on peut consulter son site Web et lire Black life and death across the U.S.-Canada border, un article rédigé en anglais exposant ses recherches préliminaires sur le sujet. Robyn Maynard est aussi lauréate du prix Talent de 2020 du concours des prix Impacts du CRSH, un article rédigé en anglais exposant ses recherches préliminaires sur le sujet. Robyn Maynard est aussi lauréate du prix Talent de 2020 du concours des prix Impacts du CRSH.